John Maynard Keynes
Deux souvenirs. De Bloomsbury à Paris traduction et présentation de Maël Renouard aux éditions Rivages parution le 28 août 2013 extrait de la préface « La force littéraire de Dr. Melchior repose sur plusieurs éléments : la temporalité des négociations, lente, laborieuse, indéfiniment contrariée ; les descriptions des lieux entre lesquels les trains de luxe des négociateurs enchaînent de vains allers et retours ; les portraits des représentants officiels, détaillés et souvent ironiques ; la tension que crée, dans les rencontres secrètes entre Keynes et Melchior, la transgression du protocole strict qui régit les relations entre amis et ennemis, vainqueurs et vaincus ; l’énigme qui entoure les dimensions exactes de cette transgression ; la cruauté du dénouement diplomatique, renvoyant les deux hommes à la solitude de leur affection qui n’a pas changé la face du monde. Il faut aussi remarquer le parallèle saisissant entre Melchior, ce juif allemand qui, parmi les délégués, était « le seul à incarner la dignité dans la défaite », et Louis-Lucien Klotz, le ministre des Finances français, victime d’un déchaînement d’antisémitisme feutré qui est l’un des points culminants du récit. Rétrospectivement, l’on ne peut s’empêcher de songer que Keynes plante le décor des catastrophes futures avec une puissance d’évocation très grande. Dr. Melchior, et singulièrement ce passage, joue un rôle important dans le dernier roman de Saul Bellow, Ravelstein – le professeur Ravelstein recommandant au narrateur, qui doit écrire son portrait, de prendre modèle sur le texte de Keynes. » * dans la presse Alternatives économiques, le 1er novembre 2013 par Denis Clerc Ces deux textes de Keynes sont les seuls dont l’auteur avait expressément autorisé la publication après sa mort. Ils n’avaient jamais été traduits en français. C’est désormais chose (remarquablement) faite par Maël Renouard. Le premier texte ("Dr Melchior : un ennemi vaincu") est le récit détaillé d’une partie des négociations du début de 1919 entre l’Allemagne, au bord de la famine, et les vainqueurs alliés, au sein desquels la France, dont Keynes fustige "la stérilité avide". Keynes, qui était l’un des négociateurs britanniques, y décrit brillamment l’atmosphère tendue de négociations qui annoncent la "paix carthaginoise" imposée ensuite par le traité de Versailles. Il évoque brièvement ses rencontres avec le Dr Melchior, l’un des négociateurs allemands, qui devint son ami (vraisemblablement dans tous les sens du terme). C’est un document historique exceptionnel, qui vaut autant pour sa forme - les portraits acides que Keynes fait des protagonistes valent le détour - que pour comprendre à quel point la Grande Guerre fut destructrice, même après avoir pris fin. Le deuxième texte ("Mes premières convictions") évoque le Keynes étudiant : c’est là qu’on trouve la phrase célèbre : "Je reste, et je resterai toujours, un immoraliste." Deux leçons - l’importance de l’histoire et celle du refus de tout dogmatisme - dont on aimerait que les économistes d’aujourd’hui prennent de la graine. * Le Monde diplomatique, octobre 2013 Les livres du mois par Evelyne Pieiller John Maynard Keynes (1883-1946) fut un économiste majeur, dont la théorie est revenue en force récemment. Mais il fut aussi directeur de théâtre, exploitant agricole, collectionneur d’œuvres d’art, diplomate et dandy. Il eut des amis à la mesure de ses talents, réunis dans le groupe de Bloomsbury, qui comptait des écrivains comme Virginia Woolf et David Garnett. Les deux textes présentés ici étaient destinés à son cercle de proches, et n’ont été publiés, à sa demande, qu’à titre posthume. Dans le premier, Keynes, alors membre de la délégation britannique et conseiller du premier ministre Lloyd George, raconte les tractations qui précédèrent la signature du traité de Versailles, en 1919. Elles portaient pour l’essentiel sur l’approvisionnement en nourriture de l’Allemagne, défendu par ceux qui avaient des porcs à vendre, au nom de la compassion et… de la lutte contre le bolchevisme. Keynes est limpide, élégant, irrésistible. Le second texte revient sur ses convictions de jeunesse, cette frivolité brillante qui traduisait son point de vue sur le monde ; et s’il la critique, il n’en maintient pas moins allègrement son « immoralisme ». Keynes se montre définitivement attachant. * Les chemins de la philosophie, chronique finale de Géraldine Mosna-Savoye, le 14 novembre 2013 Nova Book Box de Richard Gaitet, le 19 juin 2014 |